Écoles paysannes et rendement du cacao au Cameroun

1 – Introduction

1La littérature montre que l’amélioration de la productivité agricole, et donc des bénéfices des agriculteurs et des revenus des ménages, nécessite l’utilisation de technologies innovantes, de variétés à haut rendement et de bonnes pratiques agricoles (Mbétid-Bessane, 2014 ; Owenya et al., 2016 ; Allogni et al., 2008 ; Schneider et Gugerty, 2011). Dans les pays en développement, la mauvaise performance des programmes de vulgarisation agricole est due à l’inefficacité bureaucratique, à une conception déficiente des programmes, à certaines faiblesses inhérentes aux systèmes de diffusion d’innovations opérés par le secteur public et à la transmission inefficace des connaissances aux agriculteurs (Feder et al., 2004a). Ces faiblesses justifient l’apparition d’approches participatives.

2Depuis 1989, l’appui à l’intensification de l’agriculture comprend des approches participatives conçues pour créer un espace pour l’auto-apprentissage des agriculteurs, parmi lesquelles les écoles paysannes (Waddington et al., 2014). Ces nouvelles approches visent à améliorer plus efficacement les résultats des exploitations, notamment la productivité agricole. Dans les pays en développement, l’intensification de l’agriculture, y compris dans la production du cacao, reste une préoccupation permanente. Le processus d’intensification de la production du cacao est toujours sujet à débat dans les PVD [1][1]Pays en voie de développement. malgré le fait que cette culture existe dans ces pays depuis le 18ème siècle. Selon la CNUCED/OMC (2001), il est possible d’obtenir jusqu’à 2500 kg (2,5 tonnes) par hectare de cacao en appliquant de bonnes pratiques agricoles et en utilisant des variétés améliorées. Cependant, dans la plupart des pays africains producteurs de cacao, les rendements de cacao sont encore inférieurs à 1000 kg (1 tonne) par hectare. Jusqu’à présent, pour améliorer la production du cacao, les programmes de vulgarisation ont utilisé des approches traditionnelles telles que la formation et les visites, mais les résultats ont été décevants (David, 2008).

3La principale transformation à l’heure actuelle reste la formation à travers les écoles paysannes (Farmer Field Schools, FFSs) qui a été initiée par le projet STCP (Sustainable Tree Crops Program) depuis 2004 en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Nigeria et au Cameroun. Les objectifs de base du projet STCP au Cameroun sont : i) produire durablement du cacao ; ii) aider le petit producteur camerounais à acquérir les connaissances biologiques et iii) comprendre les interactions de l’agroécosystème du cacao pour être capable de prendre les décisions judicieuses concernant la gestion des exploitations.

2 – Un aperçu des écoles paysannes

4L’objectif des écoles paysannes est de permettre aux paysans de faire leurs propres découvertes à propos de la gestion des pratiques agricoles qui réduisent leur dépendance vis-à-vis des intrants coûteux tels que les pesticides et améliorent leur compréhension de la lutte intégrée. La formation des paysans se focalise sur la lutte intégrée, l’accent étant mis sur les bonnes pratiques culturales, la gestion des insectes et des maladies, l’utilisation rationnelle des pesticides, le renouvellement des exploitations et la qualité du cacao. Les paysans étudient également des questions sociales telles que la responsabilité en matière de pratiques des travaux agricoles, le VIH/SIDA ou le travail en groupe (David, 2008 ; David et Asamoah, 2011).

5Ces écoles paysannes visent à pallier l’insuffisance des approches traditionnelles de vulgarisation. Ainsi, la formation des producteurs de cacao à travers les écoles paysannes est donnée par des facilitateurs, qui sont des vulgarisateurs ou des paysans ayant participé à une session de formation des formateurs. Après quatre semaines de formation sur le programme, les facilitateurs sont prêts à faire fonctionner les écoles paysannes. Ainsi, ces écoles forment les paysans aux meilleures pratiques de la lutte intégrée, qui est la meilleure combinaison des techniques de lutte contre les parasites comprenant les méthodes de gestion des cultures, l’emploi de matériel végétal/variété amélioré(e), la préservation et/ou l’usage de produits biologiques et l’emploi de pesticides chimiques (au moins huit sessions de formation).

6La méthodologie utilisée dans la formation comprend l’analyse des agroécosystèmes pour observer les conditions de l’exploitation, la présentation des résultats de l’analyse des agroécosystèmes au groupe, des exercices d’apprentissage de la découverte permettant aux paysans d’apprendre en observant et en tirant leurs propres conclusions en travaillant en petits groupes, et des exercices en groupes dynamiques pour améliorer l’interaction du groupe. De simples protocoles d’expérimentation, tels que ceux concernant les maladies de pourriture brune, aident les paysans à mieux comprendre les relations fonctionnelles écologiques comme l’impact de l’humidité sur le développement de la maladie. L’objectif de ces processus d’apprentissage est de développer l’expertise des agriculteurs en matière de gestion des cultures, ce qui leur permet ensuite de prendre leurs propres décisions. En apprenant à prendre des décisions judicieuses fondées sur des connaissances et des observations améliorées par le biais de systèmes d’évaluation, les paysans sont responsabilisés et deviennent des « experts » dans leurs propres exploitations. Ceci diffère des travaux « traditionnels » d’extension dans la cacaoyère qui consistent en des techniques de réglage d’ombrage sans insister sur la compréhension des interactions dans l’agroécologie de la cacaoyère et des facteurs contribuant aux maladies et parasites (David, 2008).

7Le principal critère de création des écoles paysannes dans un village donné est l’existence d’une organisation ou association paysanne dans le village, capable de regrouper un certain nombre de producteurs à former. Ainsi, le nombre des producteurs disponibles détermine le nombre d’écoles paysannes à créer. Une école paysanne peut regrouper environ 20 producteurs. Cependant, un autre critère de création des écoles paysannes est la volonté des producteurs à être formés dans ces structures et le fait de posséder une exploitation de cacao (il n’y a pas de limite sur la taille de l’exploitation). Il n’existe pas d’autre contrainte pour participer aux écoles paysannes. La participation aux écoles paysannes étant gratuite pour tous les paysans, il est difficile d’avoir une information sur leur coût effectif.

3 – Revue de la littérature sur les écoles paysannes

8Dans les années récentes, un certain nombre d’organismes de développement ont promu le concept d’école paysanne comme une approche potentiellement plus efficace pour la vulgarisation des connaissances envers les producteurs. Ainsi, selon Braun et Duveskog (2011), entre 1994 et 2005, la FAO, le PNUD, l’IITA, la DANIDA et la BAD ont apporté un soutien financier et technique aux programmes des écoles paysannes, formant un peu plus de 100 000 agriculteurs en Asie, 10 000 en Afrique subsaharienne et 750 en Amérique latine. L’approche par les écoles paysannes a été introduite pour la première fois en Asie au milieu des années 1990 comme un moyen de diffusion intensive des connaissances sur les pratiques de la lutte intégrée appliquée à la riziculture (Godtland et al., 2004). Cette approche par les écoles paysannes est devenue populaire et existe dans au moins 89 pays (Braun et al., 2006). Elle reste une nouvelle technique de formation des producteurs sur diverses cultures, qui a été introduite en réponse à une importante invasion de ravageurs causée par l’utilisation abusive de pesticides dans les exploitations de riz.

9L’approche par les écoles paysannes a été étendue à toute l’Asie et à plusieurs pays d’Afrique et d’Amérique latine. En Afrique subsaharienne, elle a été introduite dans plus de 27 pays entre 1993 et 2003 (Braun et Duveskog, 2011). Les écoles paysannes sont généralement mises en place par un large éventail d’institutions internationales en Afrique (comme la FAO, l’IITA, la DANIDA, etc.) et de nombreux gouvernements et organisations non gouvernementales (ONG).

10Un certain nombre de travaux ont évalué l’impact des écoles paysannes sur la production agricole. En effet, Godtland et al. (2004) ont trouvé que les producteurs ayant participé au programme des écoles paysannes au Pérou ont significativement plus de connaissances sur les pratiques de la lutte intégrée pour améliorer notablement la productivité de la pomme de terre. Mutandwa et Mpangwa (2004) soulignent dans leurs travaux que les rendements agricoles, les revenus du coton et les connaissances techniques des participants aux écoles paysannes sont plus élevés que chez les non-participants au Zimbabwe. Feder et al. (2004b) soutiennent que l’amélioration des connaissances sur l’utilisation des pesticides obtenue grâce aux écoles paysannes avait conduit à une réduction de leur utilisation dans l’agriculture en Indonésie. Par ailleurs, Zuger (2004) trouve que le seul bénéfice résultant des écoles paysannes au Pérou est l’accroissement significatif du rendement de la pomme de terre. Récemment, les travaux de Duveskog et al. (2011) ont montré que les écoles paysannes ont des impacts significatifs sur la transformation personnelle, les évolutions des rôles et des relations de genre, les coutumes, les traditions, les relations communautaires et sur le développement économique des ménages au Kenya. De même, Davis et al. (2012) ont montré que les participants aux écoles paysannes ont vu progresser d’une manière ou d’une autre leurs revenus et la productivité de leurs cultures en Afrique de l’Est. Waddington et al. (2014) ont, quant à eux, trouvé que les écoles paysannes améliorent les résultats intermédiaires relatifs à la vulgarisation des connaissances et à l’adoption des techniques de lutte intégrée, les résultats définitifs concernant d’autres pratiques techniques ainsi que les revenus des agriculteurs dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire. Plus récemment, Luther et al. (2018) ont relevé que les agriculteurs ayant participé aux écoles paysannes ont une productivité plus élevée que ceux qui n’y ont pas participé.

11Au moment de leur introduction en Afrique, les écoles paysannes se focalisaient sur la production et la lutte intégrée en raison des niveaux relativement faibles de la production et de l’utilisation des pesticides. En Afrique centrale, les écoles paysannes ont été introduites au Cameroun à travers le programme STCP depuis 2003 dans le secteur du cacao. Aujourd’hui, environ 45 000 producteurs de cacao ont été directement formés par ces écoles pour une superficie d’exploitations de cacao d’environ 45 000 hectares.

4 – Cadre conceptuel et méthodes d’estimation

12Soit F représentant le bénéfice que le producteur obtient de la participation aux écoles paysannes

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equation im1

14Fi est une variable binaire de la participation aux écoles paysannes, α un vecteur des paramètres à estimer, X est un vecteur des caractéristiques des producteurs et ε le terme d’erreur. La participation aux écoles paysannes peut accroître le rendement du cacao. Puisque la variable résultat est ici le rendement du cacao, supposons que le rendement du cacao est une fonction linéaire de la variable binaire pour la participation aux écoles paysannes et des autres variables explicatives (Z). Ce qui conduit à l’équation suivante :

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equation im2

16Y représente la variable résultat, F est une variable binaire de la participation aux écoles définie ci-dessus, β et γ sont les vecteurs des paramètres à estimer, et μ le terme d’erreur. L’impact des écoles paysannes sur la variable résultat est mesuré par l’estimation du paramètre γ.

17L’estimation de l’impact des écoles paysannes sur le rendement du cacao est basée sur des observations non expérimentales. Il n’est donc pas possible d’observer la variable résultat des participants s’ils n’ont pas participé aux écoles paysannes. De la même manière, il n’est pas possible d’observer la variable résultat des non-participants s’ils ont participé aux écoles paysannes. Ainsi, la participation aux écoles paysannes n’est pas aléatoirement répartie dans les deux groupes de producteurs de cacao, mais c’est le producteur de cacao lui-même qui décide de participer selon les informations dont il dispose.

18Ainsi, les participants et les non-participants pourraient être systématiquement différents (Amare et al., 2012 ; Shiferaw et al., 2014 ; Khonje et al., 2015 ; Gertler et al., 2016).

19La méthode d’évaluation d’impact présente un certain nombre de difficultés empiriques. En effet, la situation alternative au dispositif (le « contrefactuel ») est difficile à définir (Heckman et al., 1998). Ceci peut être lié au fait que les individus du groupe de contrôle peuvent également participer à d’autres programmes équivalents à ceux du dispositif étudié. Cette difficulté renforce la nécessité de bien comprendre le mécanisme du dispositif. Par ailleurs, le groupe de contrôle est construit suivant l’objectif selon lequel, en moyenne, les non-participants ont des caractéristiques identiques à celles des participants. Mais il présente également des aspects hétérogènes non observés par l’évaluateur. Ceci peut avoir une influence sur la probabilité de la participation au programme évalué. C’est le problème du biais de sélection. Il est donc nécessaire de modéliser le mécanisme de sélection en fonction du dispositif de participation, puisqu’en comparant directement les situations des deux groupes (participants et non-participants au programme) nous aboutissons à l’estimation des biais.

20Dans le cadre de cet article, nous utilisons deux approches économétriques complémentaires pour résoudre le problème du biais de sélection : le modèle « endogenous switching regression » (ESR) et le modèle « propensity score matching » (PSM).

21L’approche ESR se déroule en deux étapes : la première concerne la décision de participer aux écoles paysannes et cette décision est estimée à travers le modèle probit. Dans la seconde étape, la régression des moindres carrés ordinaires avec la correction du biais de sélection est utilisée pour analyser la relation entre la variable résultat et les variables explicatives suivant la condition de la décision de participation. Les deux régressions de la variable résultat conditionnelle peuvent être écrites comme un modèle de régime :

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equation im3

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